8 OCTOBRE 2021

Acheter et rénover des logements tout en s’assurant qu’ils demeurent abordables : une mission possible

 Photo : Tom à la rue
Le parc immobilier locatif du Québec est mal en point et, paradoxalement, les prix de vente des immeubles multilogements sont à des niveaux stratosphériques. Des propriétaires immobiliers utilisent ces faits, les généralisent et profitent de circonstances qui leur sont favorables pour justifier des pratiques agressives envers les locataires. 

Nous voyons en effet, depuis l’aggravation de la crise du logement, en 2019, un nombre élevé de reprises de logements ou d’immeubles complets fondées sur des justifications mensongères, des hausses de loyers sans aucun rapport avec l’augmentation des frais d’exploitation des immeubles et plusieurs autres pratiques abusives typiques des périodes spéculatives. Certains propriétaires reportent sur les locataires les coûts élevés des travaux de rénovation d’immeubles qu’ils ont eux-mêmes mal entretenus pendant des décennies et le coût de financement d’immeubles qu’ils ont acquis à des prix sans rapport avec la réalité économique. Ils critiquent aussi le Tribunal administratif du logement pour les quelques balises en place.

Le contexte actuel représente une accélération de la crise que le domaine des logements locatifs connaît depuis plus de 20 ans. Entre la crise du début des années 2000 et la situation existante, il y a un continuum. On pourrait croire qu’il s’agît d’une fatalité, qu’en raison de la démographie, des mouvements de population, de la poigne ferme de la main invisible du marché ou d’autres raisons, les locataires sont condamnés à subir ces conditions. 


Heureusement, comme certains le disaient à une autre époque, un autre monde est possible dans le domaine du logement. L’habitation sociale sous ses différentes déclinaisons (coopératives, offices municipaux d’habitation et organismes sans but lucratif) offre divers types de logements pouvant répondre aux besoins de l’ensemble des locataires. Toutefois, au Québec et au Canada, leurs nombres sont beaucoup trop bas. De plus, les programmes de financement peinent à générer des projets qui permettraient de sortir de la logique de marché un plus grand nombre de logements locatifs abordables et à répondre aux besoins en rénovation, notamment d’immeubles privés datant de plus de 40 ans.

C’est le défi auquel s’attaquent des organismes sans but lucratif en habitation, essentiellement dans la région de Montréal. 

Ces organismes ont sorti du secteur privé des milliers de logements, en assurent un entretien attentif et les rendent de plus en plus abordables au fil des ans.

Les moyens pour arriver à ces fins sont diversifiés et dépendent des occasions de financement que ces organismes peuvent trouver. Le fait que ces projets passés ont été réalisés dans un contexte de coût d’achat plus raisonnable que ce que nous voyons actuellement fait en sorte que les organismes qui en sont propriétaires disposent aujourd’hui d’importantes sommes en capital.

Parmi ces organismes, la Société locative d’investissement et de développement social (SOLIDES) a ainsi acquis en 20 ans un parc immobilier de quelque 600 logements sur la Rive-Sud à Montréal et, plus récemment, dans les arrondissements montréalais de Verdun et de Lachine.

Pour parvenir à loger des locataires dans des appartements véritablement abordables et dont l’entretien est une responsabilité pleinement assumée, l’organisme a développé au fil des ans différentes stratégies d’acquisition. Le premier immeuble acquis par SOLIDES a bénéficié d’une garantie de prêt offerte par la Ville de Châteauguay. Le suivant a été acquis à très bas prix en raison d’une dévaluation pour mauvaise gestion. En période de pénurie de logements, la Société a construit des immeubles grâce au programme AccèsLogis. Elle a ensuite utilisé comme mise de fonds le capital acquis sur ses premiers immeubles pour en acheter d’autres, a récupéré l’immeuble d’un OBNL en déroute, puis a à nouveau utilisé son capital pour faire de nouvelles acquisitions. Enfin, lorsqu’une occasion exceptionnelle s’est présentée à lui, alors qu’il venait de mettre toutes ses billes dans un immeuble dispendieux mais stratégique, l’organisme a convaincu un fonds d’investissement basé à Vancouver de lui prêter un million de dollars sans garantie hypothécaire. Le reste du financement, d’une hauteur de 4,5 millions de dollars, a suivi. Au fil du temps, tout en maintenant ses loyers à environ 75 % du prix sur le marché privé, SOLIDES a acquis 44 immeubles totalisant 600 logements.

Il est impossible d’expliquer en quelques mots les pratiques et les outils qui permettent à ce type d’organisation de fonctionner, de réaliser sa mission et de croître même dans un environnement hostile. Cependant, un des éléments fondamentaux de la réussite de SOLIDES est sa capacité à convaincre des prêteurs d’accepter l’« approche portefeuille » de l’organisme. Puisque, actuellement, les immeubles se vendent à des multiplicateurs de revenus élevés (21 à 22 fois les revenus bruts), il est évident que des acheteurs privés adopteront des moyens expéditifs pour augmenter ces revenus. Sinon, l’opération sera déficitaire. SOLIDES accepte pour sa part que l’achat de certains immeubles entraîne des déficits d’exploitation pendant quelques années. À Longueuil, ce sera 5 à 6 ans; à Verdun, 10 ans. Ces pertes sont compensées par les surplus que dégagent les immeubles acquis il y a 10, 15 ou 20 ans. Ces derniers, tout en offrant les loyers les plus abordables, sont ceux qui dégagent les surplus d’exploitation les plus importants.

Deux acquisitions méritent plus d’attention, puisqu’elles représentent bien la façon dont le secteur pourrait accroître son impact bénéfique pour les locataires québécois en obtenant l’appui des gouvernements. La Ville de Montréal a adopté en 2018 une stratégie de développement visant à créer 12 000 logements sociaux et abordables. Le troisième axe de cette stratégie qui en comporte cinq appelle des « formules innovantes de logement abordable ». 

Dans ce cadre, SOLIDES a obtenu une aide financière d’un peu plus de 40 000 $ par logement, une aubaine comparativement aux autres programmes de logements sociaux. Cela a permis à l’organisme d’acquérir 45 logements à Lachine et à Verdun, de réaliser rapidement des travaux assurant la sécurité des immeubles et la santé des locataires, et de réduire la dette découlant de l’achat afin d’assurer immédiatement l’abordabilité des logements, et ce, de façon perpétuelle, quelles que soient les fluctuations des marchés ou les ambitions du propriétaire. 

L’expérience démontre que le logement social constitue la seule solution durable aux intérêts inconciliables entre propriétaires, qui aspirent à un rendement élevé et rapide, et locataires, qui désirent se loger dignement et à un coût qui correspond à leur capacité financière. Les programmes actuels sont essentiels et doivent avoir plus d’occasions de se déployer. L’acquisition d’immeubles de logements privés par des OBNL d’habitation et par des organisations paramunicipales comme la Société d’habitation et de développement de Montréal, qui en a amplement les moyens, doit aussi être encouragée et facilitée.

François Giguère
Directeur général de la Société locative d’investissement et de développement social

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