5 NOVEMBRE 2021

La SHAPEM: une volonté de construire des communautés solidaires, inclusives et durables

Photo : Michel G.
L’accès à un logement décent et abordable, bien plus qu’une question immobilière, est un des piliers de l’inclusion sociale, soit une condition pour bâtir des communautés où tous et toutes jouissent de conditions de vie qui leur permettent de participer pleinement à la vie en société. Les organisations qui développent des logements en dehors de la logique lucrative contribuent à la réalisation de ces principes. Parmi celles-ci, la Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal (SHAPEM) a fait de l’habitation un vecteur de la lutte contre l’exclusion et la pauvreté. 

Bref portrait de l’organisation 
La SHAPEM est un organisme sans but lucratif d’économie solidaire fondé en 1988. Son parc immobilier totalise, en propriété et en gestion, 1732 logements répartis dans 107 immeubles et localisés dans 7 arrondissements de Montréal. De ces 1732 logements, 982 lui appartiennent. Il faut souligner que plus de 40% de ces acquisitions ont été faites en dehors des programmes gouvernementaux, à l’aide de différents fonds en capital de risque patient. Avec les années, tous ces logements acquis hors programmes sont devenus de plus en plus abordables, permettant de loger des ménages à revenus modestes ou moyens. Il s’agit d’une action significative, complémentaire aux programmes gouvernementaux, qui ont, dans le contexte actuel de pénurie de logements, plus que jamais leur raison d’être.

Une vision fortement influencée par le contexte
La mission de la SHAPEM a été fortement influencée par les conditions socioéconomiques qui prévalaient à sa fondation. En effet, au début des années quatre-vingt-dix, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, lieu initial d’action de la SHAPEM, il y avait des difficultés économiques importantes : fermetures accélérées d’usines mettant à pied des travailleurs non qualifiés, pauvreté importante, taux d’intérêt très élevés pour lutter contre l’inflation, criminalité importante, en particulier liée aux motards, détérioration de la dynamique sociale avec vente de stupéfiants et prostitution de rue très apparentes, etc.

Tout ceci a eu un impact majeur sur le marché immobilier, entraînant un nombre élevé de reprises hypothécaires et d’immeubles placardés dont les propriétaires remettaient les clés à leurs créanciers hypothécaires. Durant cette période, les caisses locales Desjardins avaient des pertes si élevées que leur survie était compromise, pendant que les banques, elles, quittaient Hochelaga-Maisonneuve. Le quartier était abandonné par les acteurs économiques et les institutions. Par ailleurs, il comptait un nombre élevé de coopératives d’habitation et de logements à prix modique (HLM), sans effet apparent allant à l’encontre de cette détérioration. 

Ce contexte nous a amené·e·s à penser que l’habitation sociale n’était pas une panacée, mais un moyen permettant, avec d’autres actions socioéconomiques, d’améliorer les conditions matérielles de la population locale et de favoriser l’émergence d’une dynamique économique favorable à l’émancipation de celle-ci. C’est ainsi que la mission de la SHAPEM a été définie.

« Participer à la revitalisation et à la dynamisation urbaine et sociale de l’Est de Montréal, au bénéfice de la communauté et en collaboration avec les agents économiques et sociaux, en réalisant des projets d’habitation et des projets immobiliers, pour et avec la population locale, et en offrant des logements de qualité aux ménages à faible et moyen revenu. »

Notre vision du rôle de l’habitation dans le développement socioéconomique a évolué avec notre expérience et les défis que nous avons dû surmonter. En effet, nous sommes progressivement passé·e·s de l’habitation sociale pour « aider » les personnes et les familles à :
  1. un outil de revitalisation urbaine et sociale, avec des partenaires, dans des zones urbaines en difficulté, afin de mieux « aider » les résidents de nos immeubles;
  2. à un processus, avec la population et les acteurs de zones urbaines en difficulté, pour construire des communautés solidaires, inclusives et durables, dans une approche de revitalisation urbaine et sociale permettant d’améliorer la qualité de vie et la vitalité des quartiers où nous nous investissons;
  3. à une vision à l’échelle des grands centres urbains afin de construire un écosystème collaboratif de grands propriétaires sans but lucratif qui partageraient ressources et expertises afin d’innover et d’avoir un impact structurant sur tout le territoire urbain, ceci permettant de construire un peu partout des communautés solidaires, inclusives et durables. 

L’intervention à Montréal-Nord

Les réalisations de la SHAPEM, et la réflexion sur celles-ci, nous prédisposaient à passer à un autre niveau d’action. C’est ainsi qu’à la fin de 2006, la Ville de Montréal a demandé à la SHAPEM de réaliser un projet de logement social à Montréal-Nord, sur l'avenue Pelletier. Cette proposition nous a permis de faire une expérimentation qui dure toujours. 

En effet, cette demande a été l’occasion de sceller une alliance stratégique entre la SHAPEM et Parole d’excluEs afin d’expérimenter concrètement de nouvelles façons de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale à partir de la conjugaison de deux axes d’action complémentaires : la mobilisation citoyenne et la réalisation de logements communautaires. 

Pour la SHAPEM, le défi à relever était à la fois énorme et différent de ce qui avait été réalisé auparavant. Nous faisions face à une diversité sociodémographique qui nous était inconnue, nous étions des « étrangers » qui arrivaient avec des moyens importants et sans lien avec la population et le territoire. Notre défi était de faire en sorte que la population s’identifie à la démarche, se l’approprie et qu’elle s’investisse dans la réalisation et la pérennisation des projets. Pour ce faire, l’action avec Parole d’excluEs a été déterminante. Aujourd’hui, nous collaborons toujours avec cet organisme, mais également avec certaines organisations que nous considérons comme très porteuses, notamment Hoodstock.  

Après 16 ans de présence à Montréal-Nord, nous avons acquis et rénové 36 immeubles comportant 431 logements, dont plus de la moitié ont un loyer fixé selon l’échelle des HLM. Grâce au partenariat, en particulier avec Parole d’excluEs, nous avons également réalisé, entre autres, cinq opérations de verdissement totalisant plus d'un million de dollars, permettant la création d'espaces de socialisation et de fraîcheur ainsi que des potagers pour la population. 

Les défis encore à relever à Montréal-Nord, en matière d’inclusion sociale et d’amélioration économique structurelle, sont immenses. Il faudra bien entendu beaucoup de logements sociaux, mais notre expérience nous montre que, sans une adhésion importante de la population et des organisations du territoire, les résultats ne seront pas à la hauteur de ces défis.
Jean-Pierre Racette
Directeur général de la Société d'habitation populaire de l'Est de Montréal (SHAPEM)


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