Par exemple, les subventions à l’achat, certaines mesures fiscales, mais aussi l’assurance sur les prêts hypothécaires de la SCHL « socialisent » certains coûts pour les ménages de classe moyenne et supérieure, qui sont les seuls à pouvoir en bénéficier. Il n’y a pas de véritable équivalent pour les ménages locataires, les programmes de supplément au loyer n’étant accessibles qu’à une faible proportion d'entre eux. La logique (théorique) derrière ce choix politique est qu’en favorisant la construction massive d’habitations pour permettre à des ménages d’accéder à la propriété, la pression spéculative diminuera (par l’augmentation de l’offre). De plus, les ménages accédant à la propriété libéreront des unités locatives qui pourront être occupées par des ménages en ascension dans leur carrière résidentielle, selon un principe de chaîne de vacances. Cependant, force est de constater les limites de ce modèle théorique puisque, depuis quelques années, cette chaîne de vacances est constamment interrompue par un accaparement des logements à des fins de création de plus-value par leur conversion en copropriétés, les « rénovictions » visant la location à des ménages plus fortunés ou encore la conversion d'appartements en locations à court terme de type Airbnb.
Le logement a toujours été un objet de spéculation, afin de créer cette plus-value, c’est-à-dire un rendement plus élevé que l’augmentation de la valeur d’usage. Depuis 15 ans, ce rendement s’est accéléré de plus de 20% annuellement, selon une récente étude de l’IRIS. Il n’est donc pas étonnant que l’immobilier attire aujourd’hui non seulement les grandes firmes d’investissement, mais également de petits et moyens acteurs qui cherchent à s’enrichir rapidement. À ces spéculateurs qui veulent délibérément tirer profit de ce rendement potentiel s’ajoutent des ménages à la recherche d’un chez-soi qui participent aussi à la dynamique spéculative. Comment ? Ces derniers, voyant l’offre diminuer et les prix augmenter rapidement, se laissent emporter par la vague, avant de ne plus avoir les moyens financiers d’accéder à la propriété convoitée. Sentant qu’ils n’ont pas d'autre choix, ces ménages participent au jeu de la surenchère aveugle (qui a fait régulièrement les manchettes ces derniers mois), alimentant ainsi la dynamique spéculative. Dans le cas des immeubles locatifs (ou comportant des unités locatives), les nouveaux propriétaires voudront transférer le coût de la plus-value découlant de la spéculation aux locataires, parfois en usant de tactiques frauduleuses ou malveillantes, ce que dénoncent vigoureusement les groupes de défense de locataires.
Le problème est que la plus-value issue de cette spéculation est monopolisée par des propriétaires (grands ou petits) qui n’ont rien fait sinon saisir une occasion d’acheter une propriété afin de la revendre à terme, parfois rapidement (flip), à un autre acheteur disposé à payer un bien essentiel plus cher que sa valeur d’usage.
Dans une perspective du droit au logement, les politiques et les programmes de tous les ordres de gouvernement devraient viser directement l’élimination de toute forme d’enrichissement injustifié.
Les groupes de défense des locataires militent depuis des décennies pour le logement social, différentes formes de logement non marchand et un véritable contrôle des loyers. Certaines solutions existent, ont été mises en place ou sont proposées à l’échelle locale, et elles répondent en partie à ces demandes. On a vu plus tôt que les nouveaux pouvoirs des municipalités leur permettent une forme de zonage d’inclusion pour les nouveaux projets domiciliaires et un droit de préemption pour l’acquisition de terrains à des fins de projets de logement social ou abordable. Elles peuvent également contrôler, grâce à leur règlement de zonage, les projets d’agrandissement et de subdivision, qui sont trop souvent devenus des façons de contourner le peu de protection dont jouissent les locataires quant à leur droit de maintien dans les lieux ou face à une augmentation abusive des loyers. Mieux encadrer le droit de propriété passe aussi par un meilleur contrôle de l’activité de revente des logements afin de garantir la pérennité de leur abordabilité selon la capacité de payer des ménages, que ce soit par une taxe dissuasive sur la plus-value ou par un système de capitalisation partagée où la plus-value est réinvestie dans les communautés afin de perpétuer l’abordabilité.
Dans le contexte de la crise du logement que connaissent plusieurs villes du Québec, Julia Posca de l’IRIS discute avec Marie-Sophie Banville, Louis Gaudreau et Estelle Grandbois-Bernard de solutions pour protéger l’accès au logement et de modèles alternatifs d’habitation.