15 OCTOBRE 2021

Spéculation immobilière : comprendre pour lutter contre cette forme d’enrichissement injustifié

Photo : Caribb
La question du logement occupe aujourd’hui une place prépondérante dans les préoccupations des électeurs à l’échelle locale, dépassant même, dans le cas de Montréal du moins, les enjeux « classiques » de sécurité publique et d’entretien. Groupes de défense des locataires et chercheurs dénoncent depuis des années les difficultés croissantes qu’ont les ménages à faible ou à modeste revenu de se loger convenablement ; la rareté généralisée d’unités locatives a fait place à une rareté de logements convenables selon la capacité de payer des ménages. Cette rareté résulte d'une dynamique spéculative qui affecte aussi les ménages de classe moyenne, qui, avec la flambée des prix de l’immobilier, peinent à accéder à la propriété. Comme on le verra, si certains acheteurs alimentent cette dynamique en cherchant délibérément à s’enrichir rapidement, d’autres y contribuent bien malgré eux.

Avec une part grandissante de l’électorat qui éprouve de sérieuses difficultés à se loger selon ses besoins, attentes et aspirations, les partis politiques municipaux rivalisent dans leur recherche de solutions pour limiter les effets de la spéculation immobilière. Or, face à cette spéculation qui se joue à plusieurs niveaux, les municipalités ont un pouvoir législatif et financier (relativement) limité, sans le soutien des gouvernements provincial et fédéral, et ce, malgré les nouveaux pouvoirs dont elles disposent depuis l’adoption des lois 121 et 122. Si les municipalités peuvent maintenant assujettir la délivrance d’un permis à l’inclusion de logement abordable, social ou familial et exercer un droit de préemption, elles dépendent en grande partie des autres ordres de gouvernement, notamment pour le financement du logement social ainsi que pour l’adoption de différentes mesures de contrôle des loyers qui relèvent du gouvernement du Québec. Cependant, la question de l’accès à la propriété demeure au cœur du discours politique. 

Ce choix politique à l’échelle locale s’inscrit dans un système plus large, soit le système de logement canadien, qui favorise, voire facilite l’accès à la propriété, ce qui, paradoxalement, peut nuire au droit au logement pour toutes et tous, droit implicitement reconnu par le gouvernement fédéral. Dans le système de logement canadien, le mode de tenure locative est considéré comme transitoire pour les jeunes ménages amorçant leur « carrière résidentielle ». Le rôle des gouvernements est de faciliter l’accès à la propriété des ménages, le financement du logement social ne devant viser que les populations les plus fragilisées ou ayant des besoins particuliers. Entre les deux, le marché locatif privé répondrait, en théorie, aux besoins de la population en ascension dans sa carrière résidentielle. Toute forme de contrôle des loyers créerait des interférences dans l’atteinte d’un marché équilibré, ce que dénoncent les associations de propriétaires.

Mais ce discours du « tout au marché qui trouvera son équilibre » occulte certaines contradictions. 

Par exemple, les subventions à l’achat, certaines mesures fiscales, mais aussi l’assurance sur les prêts hypothécaires de la SCHL « socialisent » certains coûts pour les ménages de classe moyenne et supérieure, qui sont les seuls à pouvoir en bénéficier. Il n’y a pas de véritable équivalent pour les ménages locataires, les programmes de supplément au loyer n’étant accessibles qu’à une faible proportion d'entre eux. La logique (théorique) derrière ce choix politique est qu’en favorisant la construction massive d’habitations pour permettre à des ménages d’accéder à la propriété, la pression spéculative diminuera (par l’augmentation de l’offre). De plus, les ménages accédant à la propriété libéreront des unités locatives qui pourront être occupées par des ménages en ascension dans leur carrière résidentielle, selon un principe de chaîne de vacances. Cependant, force est de constater les limites de ce modèle théorique puisque, depuis quelques années, cette chaîne de vacances est constamment interrompue par un accaparement des logements à des fins de création de plus-value par leur conversion en copropriétés, les « rénovictions » visant la location à des ménages plus fortunés ou encore la conversion d'appartements en locations à court terme de type Airbnb.

Le logement a toujours été un objet de spéculation, afin de créer cette plus-value, c’est-à-dire un rendement plus élevé que l’augmentation de la valeur d’usage. Depuis 15 ans, ce rendement s’est accéléré de plus de 20% annuellement, selon une récente étude de l’IRIS. Il n’est donc pas étonnant que l’immobilier attire aujourd’hui non seulement les grandes firmes d’investissement, mais également de petits et moyens acteurs qui cherchent à s’enrichir rapidement. À ces spéculateurs qui veulent délibérément tirer profit de ce rendement potentiel s’ajoutent des ménages à la recherche d’un chez-soi qui participent aussi à la dynamique spéculative. Comment ? Ces derniers, voyant l’offre diminuer et les prix augmenter rapidement, se laissent emporter par la vague, avant de ne plus avoir les moyens financiers d’accéder à la propriété convoitée. Sentant qu’ils n’ont pas d'autre choix, ces ménages participent au jeu de la surenchère aveugle (qui a fait régulièrement les manchettes ces derniers mois), alimentant ainsi la dynamique spéculative. Dans le cas des immeubles locatifs (ou comportant des unités locatives), les nouveaux propriétaires voudront transférer le coût de la plus-value découlant de la spéculation aux locataires, parfois en usant de tactiques frauduleuses ou malveillantes, ce que dénoncent vigoureusement les groupes de défense de locataires. 

Le problème est que la plus-value issue de cette spéculation est monopolisée par des propriétaires (grands ou petits) qui n’ont rien fait sinon saisir une occasion d’acheter une propriété afin de la revendre à terme, parfois rapidement (flip), à un autre acheteur disposé à payer un bien essentiel plus cher que sa valeur d’usage.

Le logement est un droit fondamental et la spéculation immobilière est ce que l’on pourrait qualifier sans hésitation de forme d’enrichissement injustifié, qui ne peut se défendre éthiquement, car elle affecte directement la capacité des ménages à se loger convenablement.

Dans une perspective du droit au logement, les politiques et les programmes de tous les ordres de gouvernement devraient viser directement l’élimination de toute forme d’enrichissement injustifié. 

Les groupes de défense des locataires militent depuis des décennies pour le logement social, différentes formes de logement non marchand et un véritable contrôle des loyers. Certaines solutions existent, ont été mises en place ou sont proposées à l’échelle locale, et elles répondent en partie à ces demandes. On a vu plus tôt que les nouveaux pouvoirs des municipalités leur permettent une forme de zonage d’inclusion pour les nouveaux projets domiciliaires et un droit de préemption pour l’acquisition de terrains à des fins de projets de logement social ou abordable. Elles peuvent également contrôler, grâce à leur règlement de zonage, les projets d’agrandissement et de subdivision, qui sont trop souvent devenus des façons de contourner le peu de protection dont jouissent les locataires quant à leur droit de maintien dans les lieux ou face à une augmentation abusive des loyers. Mieux encadrer le droit de propriété passe aussi par un meilleur contrôle de l’activité de revente des logements afin de garantir la pérennité de leur abordabilité selon la capacité de payer des ménages, que ce soit par une taxe dissuasive sur la plus-value ou par un système de capitalisation partagée où la plus-value est réinvestie dans les communautés afin de perpétuer l’abordabilité.

Hélène Bélanger
Professeure, Département d'études urbaines et touristiques, ESG UQAM
Membre du Collectif de recherche et d'action sur l'habitat (CRACH)


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